Intérim, sous-traitance… Et l’employeur dans tout ça ?
Paru dans La Vie Nouvelle le 12 mai 2017.
Pour optimiser le coût de ses prestations, l’entreprise est parfois tentée de préférer à l’embauche d’un salarié la sollicitation d’une entreprise de travail temporaire ou d’un sous-traitant.
Mais cette démarche ne génère pas toujours l’économie escomptée : elle peut même se révéler bien plus coûteuse…
Le montage économique choisi par l’entreprise ne la protège pas.
Tout particulièrement, l’écran d’une entreprise de travail temporaire ou d’un sous-traitant ne suffit pas à écarter la requalification de la relation en contrat de travail.
Ce contrat se distingue d’abord du contrat d’entreprise, qui peut être confié à un sous-traitant lequel peut exercer en société ou à titre indépendant (auto entrepreneur notamment).
L’existence du premier repose sur la réunion de trois critères :
- l’exécution d’une prestation de travail par une personne,
- sous la subordination d’une autre,
- moyennant une rémunération déterminée.
En pratique, c’est donc l’existence, ou non, d’un état de subordination qui commande la qualification de la prestation convenue entre les parties, peu important la dénomination donnée par ces dernières au contrat qui les lie.
Les indices pour caractériser un lien de subordination sont nombreux : instructions trop précises données par le donneur d’ordre, notamment pour l’organisation du temps de travail, mise à disposition par le donneur d’ordre des outils de travail, relation de quasi exclusivité entre le prestataire et le donneur d’ordre et, de façon plus générale, dépendance économique du prestataire à l’égard du donneur d’ordre…
Il serait vain notamment pour une entreprise d’imaginer de s’adjoindre, sans risque, les services exclusifs d’un auto entrepreneur : ce dernier, en réalisant l’intégralité de son chiffre d’affaires avec un « client » unique, se trouve, de fait, placé dans un état de subordination économique évident.
Rappelons que le prêt de main-d’œuvre, qui consiste pour un travailleur à vendre exclusivement sa force de travail, est illicite, sauf exceptions.
Au nombre de ces exceptions figure le contrat de mise à disposition d’un travailleur temporaire qui diffère, quant à lui, du contrat de travail par la nécessité d’être écrit et de reposer sur l’un des motifs de recours limitativement énumérés par la loi.
Il ne peut ainsi être fait appel à un intérimaire que pour l’exécution d’une tâche précise et temporaire, et seulement dans les cas suivants : remplacement, accroissement temporaire d’activité, emploi saisonnier ou d’usage.
En tout cas, le contrat de mission confiée à ce travailleur ne peut avoir ni pour objet ni pour effet de pourvoir durablement un emploi lié à l’activité normale et permanente de l’entreprise utilisatrice.
La requalification de la relation en contrat de travail n’est pas anodine, spécialement en termes financiers.
En effet, cette requalification entraîne des conséquences sur le plan civil, mais également pénal.
Le travailleur peut d’abord obtenir d’un Conseil de Prud’hommes la requalification en contrat de travail.
Il y sera incité si la relation avec son donneur d’ordre devient moins avantageuse pour lui ou si le commettant décide tout simplement d’y mettre un terme.
Cette requalification entraîne notamment, au bénéfice du travailleur devenu salarié :
- l’allocation d’une indemnité dite « de requalification » représentant un mois de salaire,
- la poursuite de la relation de travail dans le cadre d’un contrat de travail à durée indéterminée à temps plein,
- ou, si la relation a pris fin, l’octroi :
- des indemnités inhérentes à un licenciement (indemnité de licenciement dont le montant dépend de l’ancienneté de la relation et indemnité compensatrice de préavis représentant entre 1 et 3 mois de salaire en fonction du statut du salarié et de son ancienneté),
- outre des dommages et intérêts en réparation du préjudice subi par le travailleur du fait de la perte injustifiée de son emploi.
Si la loi a réduit le délai de prescription de l’action prud’homale à 2 ans, il reste que, pendant toute cette durée, l’entreprise peut être recherchée :
- au titre de chacune des commandes qu’elle aura passées auprès de tel ou tel sous-traitant indépendant,
- au titre de chacune des mises à disposition qu’elle aura obtenues de telle ou telle entreprise de travail temporaire,
Ainsi, l’entreprise ne limite pas le risque en multipliant le nombre de tiers auxquels elle recourt ou en diversifiant les mécanismes de droit utilisés : ce seront autant de portes ouvertes à une éventuelle requalification pour chacun des travailleurs concernés… pendant deux années !
Toujours sur le plan civil, l’entreprise s’expose à un risque de redressement par les organismes de sécurité sociale au titre d’une situation qui leur paraîtrait relever du statut du salariat et au titre de laquelle les cotisations et contributions sociales n’auraient pas été régulièrement acquittées.
Le contrôle peut porter sur les 5 dernières années civiles précédant l’année en cours, ce qui signifie qu’un contrôle réalisé au mois de décembre pourrait concerner près de six années…
Ajoutons que le redressement peut concerner non seulement les cotisations dues au titre de l’emploi du travailleur concerné mais également les exonérations de cotisations dont l’entreprise a pu bénéficier au titre de l’ensemble de ses salariés régulièrement déclarés et payés.
En effet, il est un principe en droit de la sécurité sociale selon lequel le bénéfice de toutes mesures d’exonérations ou de réduction des cotisations de sécurité sociale est réservé aux employeurs « modèle » ; par suite, en cas de constat d’une infraction de travail dissimulé, l’employeur fautif s’expose à l’annulation totale des exonérations ou réductions pratiquées sur les rémunérations qu’il a versées.
En outre, lorsqu’elle constate une situation de travail illégal, l’URSSAF est fondée à appliquer, sur le montant des cotisations et contributions réclamées, et à compter de leur date d’exigibilité :
- une majoration « de base » au taux de 5 %,
- outre une majoration complémentaire de 0,4 %, par mois, ou fraction de mois, écoulés.
Cette situation, qui caractérise l’infraction de travail dissimulé, est aussi sanctionnée pénalement.
A ce titre, non seulement l’entreprise peut être poursuivie, mais le dirigeant à titre personnel aussi.
Les peines encourues sont particulièrement lourdes : ce délit est puni de 3 ans d’emprisonnement et d’une amende de 45 000 euros (dont le montant est porté à 225 000 euros pour les personnes morales).
L’infraction peut être plus sévèrement sanctionnée si elle est réitérée ou commise à l’égard de plusieurs personnes ou dans le cadre d’un système organisé.
Et il n’est pas conté ici :
- les sanctions administratives dont l’entreprise coupable de travail illégal est passible (perte du bénéfice des aides publiques, remboursement des aides perçues, exclusion de la procédure de passation des marchés publics…),
- ou les sanctions résultant de la solidarité financière auxquelles s’expose le donneur d’ordre qui recourt aux services d’une entreprise elle-même recherchée pour travail illégal…
Historique
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