Le contrôleur des lieux de privation de liberté et la loi pénitentiaire
Auteur : VISIER-PHILIPPE Christine
Publié le :
02/10/2007
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64.069 personnes incarcérées au 1er août 2007, soit, probablement, une population sous écrou de 80.000 personnes en 2017, une densité carcérale moyenne de 120 %, 15.000 personnes détenues en établissement pénitentiaire mais relevant de la psychiatrie, la suppression de la grâce présidentielle, la loi n° 2007-1198 du 10 août 2007 renforçant la lutte contre la récidive des majeurs et des mineurs et instaurant les « peines planchers »... Il s’agit là, « pêle-mêle », d’autant de détonateurs justifiant une prise de conscience collective de la nécessité d’améliorer le système pénitentiaire français.
Le débat n’est pas nouveau
Déjà au cours de l’année 2000, ensuite de la publication du livre du Docteur VASSEUR « Médecin Chef à la prison de la Santé », un vent de fronde s’était levé de toute part pour dénoncer le caractère indigne de notre système carcéral... mais ce vent s’est bien vite essoufflé, le projet d’une grande loi pénitentiaire restant lettre morte et ce, en dépit du travail accompli alors tant par la commission sur le contrôle extérieur des établissements pénitentiaires présidée par Guy CANIVET, ancien Président de la Cour de Cassation, que par les Sénateurs Jean-Jacques HYEST et Guy-Pierre CABANEL.
La campagne présidentielle de 2007 était l’occasion d’un second souffle : Nicolas SARKOZY, interpellé sur cette question, notamment par les institutions de notre profession, annonçait alors : « l’élaboration d’une loi pénitentiaire exigeante et la création d’un contrôle général indépendant des prisons, qui feront qu’il ne sera plus possible, en France, d’obliger un détenu à partager sa cellule ».
Simple promesse électorale ou engagement ferme ?
Force est aujourd’hui de constater :
- qu’un premier chantier est déjà bien entamé celui de la création d’un Contrôleur général des lieux de privation de liberté,
- tandis qu’un second chantier devrait débuter dans le courant de l’automne : la rédaction de la loi pénitentiaire.
Le contrôleur général des lieux de privation de liberté
Les règles pénitentiaires européennes 9 et 93-1, reprenant un principe énoncé dans le Protocole facultatif à la Convention des Nations Unies contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants du 18 décembre 2002, disposent respectivement :
« Toutes les prisons doivent faire l’objet d’une inspection gouvernementale régulière ainsi que du contrôle d’une autorité indépendante »,
« Les conditions de détention et la manière dont les détenus sont traités doivent être contrôlées par un ou des organes indépendants, dont les conclusions doivent être rendues publiques ».
Le projet de loi instituant un Contrôleur général des lieux de privation de liberté adopté par le Sénat le 31 juillet 2007, tend à mettre notre législation en conformité avec ces deux règles, dont le principe a d’ailleurs été repris dans la déclaration finale des états généraux de la condition pénitentiaire.
Si, aux premiers temps de la réflexion, le Médiateur de la République avait été pressenti pour accomplir cette mission, tel n’est plus le cas aujourd’hui.
En effet, le Sénateur Jean-Jacques HYEST au nom de la commission des Lois souligne dans son rapport :
« (...) en l’état du droit et tant que le statut du Médiateur n’est pas profondément transformé, le rattachement de la fonction de contrôleur à un Médiateur dont la mission principale est inchangée serait source de confusion.
Dès lors que les fonctions de médiation et de vérification sont différentes et qu’elles impliquent, l’une comme l’autre, une mobilisation importante de moyens humains, il semble préférable de les confier à deux entités séparées ».
C’est ainsi que le Contrôleur général des lieux de privation sera une autorité indépendante chargée de « contrôler les conditions de prise en charge des personnes privées de liberté, afin de s’assurer du respect de leurs droits fondamentaux ».
Pour garantir l’indépendance du contrôleur, le projet de loi adopté par le Sénat prévoit :
- sa nomination par décret du Président de la République après avis de la commission compétente de chaque assemblée,
- un mandat non renouvelable de six années,
- l’impossibilité de le poursuivre, rechercher, détenir ou juger à l’occasion des opinions qu’il émet ou des actes qu’il accomplit dans l’exercice de ses fonctions,
- l’impossibilité de mettre fin à ses fonctions avant l’expiration de son mandat sauf démission ou empêchement,
- l’incompatibilité de ses fonctions avec tout autre emploi public, toute activité professionnelle et tout mandat électif.
Le Contrôleur général des lieux de privation pourra être saisi par :
- le Premier ministre, les membres du gouvernement et du parlement,
- le Médiateur de la République, le Défenseur des enfants, le président de la Commission nationale de déontologie de la sécurité et le président de la Haute Autorité de lutte contre les discriminations et pour l’égalité,
ou bien encore s’auto-saisir, étant précisé que :
- toute personne physique,
- toute personne morale s’étant donné pour objet le respect des droits fondamentaux (au titre desquelles figurent notamment les barreaux), pourra porter à la connaissance du Contrôleur général des faits ou situations susceptibles de relever de sa compétence, sans qu’il ait l’obligation de se prononcer sur la situation dont il aura été avisé.
Pour l’aider à accomplir sa mission, le Contrôleur général des lieux de privation de liberté sera assisté de contrôleurs dont il assurera lui-même le recrutement en raison de leur compétence dans les domaines se rapportant à sa mission.
Le Contrôleur général, ou l’un de ses contrôleurs sur délégation, pourra visiter à tout moment, sur le territoire de la République :
- tout lieu où des personnes sont privées de liberté, au titre desquels figurent l’ensemble des établissements pénitentiaires, les établissements pour mineurs, les centres éducatifs fermés, les zones d’attente, les locaux de rétention administrative, les centres de rétention administrative, les locaux de garde à vue, les locaux d’arrêt des armées de terre, de l’air, de la marine nationale,
- tout établissement de santé habilité à recevoir des patients hospitalisés sans leur consentement (secteurs psychiatriques des centres hospitaliers).
Les autorités responsables des lieux de privation de liberté ne pourront s’opposer à cette visite que pour des motifs graves (défense nationale, sécurité publique, catastrophes naturelles ou existence de troubles sérieux dans l’établissement) en proposant son report.
Lors de sa visite, le Contrôleur pourra :
- obtenir des autorités responsables toute information ou pièce utile à l’exercice de sa mission,
- s’entretenir, dans des conditions assurant la confidentialité, avec toute personne dont le concours lui paraît nécessaire, étant précisé que le caractère secret des informations et pièces ne peut lui être opposé, sauf si leur divulgation est susceptible de porter atteinte au secret de la défense nationale, à la sûreté de l’Etat, au secret de l’enquête et de l’instruction, au secret médical ou au secret professionnel applicable aux relations entre un avocat et son client.
A l’issue de chaque visite, le Contrôleur général :
- fait connaître au ministre intéressé ses observations, lequel formule des observations en réponse chaque fois qu’il le juge utile ou lorsque le Contrôleur général le lui a expressément demandé,
- s’il a connaissance de faits laissant présumer l’existence d’une infraction, les porte à la connaissance du procureur de la république,
- porte sans délai à la connaissance des autorités ou des personnes investies du pouvoir disciplinaire les faits de nature à entraîner des poursuites disciplinaires.
Si le Contrôleur général n’a aucun pouvoir d’injonction, il peut, en revanche, émettre des avis et formuler des recommandations aux autorités publiques et proposer au gouvernement toute modification des dispositions législatives et réglementaires applicables, le tout pouvant être rendu public.
Enfin, le Contrôleur général des lieux de privation de liberté devra remettre chaque année un rapport d’activité au Président de la République et au parlement qui sera d’ailleurs rendu public.
Tel est le projet de loi sur lequel devra se pencher à l’automne l’Assemblée nationale et pour lequel notre Assemblée générale du 29 juin 2007 a exigé l’ouverture d’une véritable concertation.
Dans un communiqué du 31 juillet 2007, le Conseil National des Barreaux a :
- approuvé la création d’un Contrôleur général des lieux de privation de liberté, indépendant, nommé par décret pour une durée de six ans non renouvelable,
- mais a souhaité en revanche :
> que soit exclue toute possibilité, pour les autorités responsables du lieu de privation de liberté, de s’opposer à la visite du contrôleur général,
> que soit garantie la confidentialité de sa saisine par une personne détenue ou retenue,
> que soit assuré le financement nécessaire à la mission du contrôleur.
A ces remarques formulées par le Conseil National des Barreaux, il paraît utile d’en ajouter une et d’en préciser une seconde :
- le succès de la mission du Contrôleur général des lieux de privation de liberté sera fonction :
> de l’habileté de ce dernier à ne pas empiéter sur le terrain occupé par d’autres autorités administratives indépendantes que sont le Médiateur de la République, la Commission nationale de déontologie de la sécurité ou par des commissions administratives telles que la Commission nationale de contrôle des centres et locaux de rétention administratives et des zones d’attente (CRAZA) ou la commission départementale des hôpitaux psychiatriques,
> et, inversement, de sa capacité à se protéger d’éventuels empiètements de ces organismes sur ses fonctions.
Peut-être serait-il même nécessaire, avant d’adopter la loi instaurant le Contrôleur général des prisons, de s’assurer que la cohabitation de ces différentes institutions pourra se faire de façon totalement cohérente pour éviter les doublons... l’administration pénitentiaire regrettant, comme nous avons pu le constater avec le Président NATALI lors de notre rencontre du 10 mai 2007 avec son Directeur Claude D’HARCOURT, non pas l’existence des contrôles eux-mêmes, mais leur « foisonnement »
- la mission confiée au Contrôleur général des lieux de privation de liberté le conduira à devoir contrôler plus de 5 500 sites.
L’on peut donc légitimement s’interroger sur le point de savoir si l’enveloppe budgétaire prévue (de l’ordre de 2,5 millions d’euros) et l’effectif initial de 20 collaborateurs ne sont pas insuffisants...
La question se pose avec d’autant plus d’acuité que l’on sait que l’Ombudsman anglais, doté d’une équipe de 85 personnes, ne réussit à effectuer une visite approfondie de chaque établissement, qui sont au nombre de 139, que tous les 5 ans...
Ainsi, le Contrôleur général des lieux de privation de liberté ne pourra jouer pleinement son rôle qu’à la condition que les pouvoirs publics lui en donnent les moyens... à défaut, il ne sera qu’une autorité indépendante parmi d’autres que l’on aura tôt fait d’oublier... La loi pénitentiaire
Si bien le projet de loi pénitentiaire suscite d’ores et déjà l’intérêt de notre profession et des médias, il n’en est pourtant encore qu’à l’état d’ébauche...
En effet, à la date d’aujourd’hui, le seul élément concret réside dans la nomination par le Garde des Sceaux, Rachida DATI, le 11 juillet 2007, d’un comité d’orientation restreint sur la grande loi pénitentiaire qui regroupe des représentants du personnel de l’administration pénitentiaire, des personnalités du monde judiciaire, des personnalités de la vie civile.
Un membre du Conseil National des Barreaux est présent au sein de cette commission, notre confrère Gérard TCHOLAKIAN.
Le Président Frank NATALI a reçu l’assurance du Ministère de la Justice que la Conférence des Bâtonniers sera auditionnée par le comité d’orientation.
Si la nécessité de l’adoption de cette grande loi pénitentiaire ne peut être contestée en son principe, l’on peut toutefois légitimement s’interroger sur le point de savoir si nous ne disposons pas, déjà, d’instruments susceptibles de permettre aux établissements pénitentiaires de « respirer », notamment en privilégiant les peines alternatives à l’emprisonnement, les placements sous surveillance électronique, les libérations conditionnelles...
Comme le professait le Dom Juan de Molière « Il ne faut pas dire, il faut faire » !
Une loi pénitentiaire, aussi complète soit-elle, n’aura de réel intérêt qu’autant que les moyens nécessaires à sa mise en œuvre seront débloqués...
A défaut, là encore, elle ne sera que poudre aux yeux !
Notre profession aura le devoir, dans le cadre de la discussion qui s’installera lors de l’adoption de la loi pénitentiaire, de s’assurer que les lieux de privation de liberté seront, à l’avenir, conformes aux principes d’une société démocratique dans laquelle l’individu concerné dispose de libertés et de droits fondamentaux, à l’exception de la liberté d’aller et venir. Cet article n'engage que son auteur.
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